La Sologne, pays de légendes

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Chez un certain nombre de Solognots, encore au XXème siècle, superstitions, croyances et légendes étaient étroitement mêlées.
L'année était ponctuée par certaines célébrations où se mêlaient rites religieux et païens : Noël, la Chandeleur, Mardi Gras, le mois de mai, la Saint-Jean...
On vénérait aussi toutes sortes de saints ;  processions ou pèlerinages attiraient vers les églises ou les fontaines miraculeuses, un grand nombre de croyants. Les prières aux bons saints guérisseurs s'accompagnaient souvent de rites, variant parfois d'un village à l'autre : Saint-Genou, Saint-Loup, Saint-Viâtre...
Un ensemble de superstitions avec rituels, recettes, potions magiques, accompagnait la vie de tous les jours, la maladie ou la mort.
Supplantant souvent les curés, les sorciers et sorcières habitaient cet univers imaginaire, né de l'ignorance et de la peur. C'est la Malnoue, rivière maléfique et souterraine que l'on entend couler derrière la plaque de la cheminée et qui peut engloutir celui qui la provoque, les birettes terrorisant les imprudents qui passent la nuit sur les chaussées d'étangs, les sorciers faiseurs d'orages, et puis les "j'teux d'sorts", les loups-garous...
La nature elle-même, parfois hostile, offre à l'imaginaire des interprétations fantastiques, ferment des légendes solognotes... et universelles !
Racontées souvent le soir à la veillée, les légendes évoquent le monde des sorciers bien sûr, mais aussi  l'univers animal familier des solognots.
Reprenant parfois des mythes universels, elles diffèrent selon les lieux et les conteurs, véritables passeurs de mémoire de nouveau appréciés aujourd'hui.
Maurice Genevoix en rappelle quelques-unes par la voix du vieux Touraille, au chapitre 3 de "Raboliot" : c'est celle des nœuds de serpents et du diamant bleu : "tous les ans, au 13 de mai, les côleuvres, les anvots*, les aspics, tous les serpents de la Sologne s'en vont rampant vers une étang des bois : une étang noire, sauvage..."
C’est l’histoire, aussi, du rossignol et du geai : "Aux temps anciens, le rossignol n'avait qu'un œil. L'anvot itou** n'avait qu'un œil, et ils étaient copains comme cochons.  Mais voilà que le rossignol est prié un jour à la noce, et il dit comme ça à l'anvot : Prête-moi ton œil, mon camarade, je te le rendrai sans faute. Et il va à la noce, fier comme un paon d'avoir deux yeux (mais le paon, sur sa queue, en a bien davantage). Et il revient, et l'anvot lui réclame son œil. Ton œil ? Quel œil ? Par mon père et par ma mère, je ne sais pas ce que tu veux dire. Il était rudement chenille, ce rossignol !
En attendant, l'anvot restait aveugle, et malcontent comme tu peux croire. Et il siffle au bec du rossignol : Je mangerai tes petits dans l'œuf !
Voire, dit l'autre. Je bâtirai mon nid, si haut, si bas, que tu ne le trouveras pas.
C'est depuis ce temps-là qu'au pied de chaque buisson où un rossignol a fait son nid, on ne peut manquer, en cherchant bien, de découvrir dans l'herbe, un anvot.’’

Tous les solognots ont entendu parler du chêne de Miberlan (ou légende des 2 bossus).

63Le chêne de Miberlan se dresse, isolé, à la limite des communes de Chaumont-sur-Tharonne et Yvoy-le-Marron, le village d'Yvoy-le-Marron où il y avait deux bossus.
De jour, comme ça, ce chêne a l'air ordinaire ; mais la nuit...
C'est là que se réunissent les sorciers, chantant, priant et menant une telle sarabande qu'on peut voir, le jour levé, tout autour de l'arbre, le cercle de leurs empreintes imprimées dans le sol.
Une nuit, un bossu qui rentrait de Chaumont, les entendit chanter : "Lundi, mardi, mercredi… Lundi, mardi, mercredi...
Eh ben, jeudi, on l'dit pas ? dit le bossu
C'est vrai ça, dirent les sorciers, il a raison, qu'est-ce qu'on va faire pour le remercier de nous avoir appris ça ? et l'un d'eux trouva : Je sais, on va lui enlever sa bosse !
Et quand le gars est rentré à Yvoy, il était content : il n'avait plus de bosse !
Quand il le rencontra, le deuxième bossu s'étonna : Mince, qu'est-ce t'as fait à ta bosse ?
Ben l'aut'jour, j'suis passé près d'Miberlan, et ils me l'ont enlevée.
Ça alors, mais qu'est-ce que t'as fait pour qu'ils te l'enlèvent ? Ils chantaient en dansant : Lundi, mardi, mercredi...
et jeudi, ils l'disaient pas ?
ben, pour leur avoir appris ça, ils m'ont enlevé ma bosse !
La nuit suivante, le 2ème bossu partit donc à Miberlan, et entendit les sorciers chanter :
Lundi, mardi, mercredi, jeudi...
et vendredi, dit-il, vendredi, vous ne le dites pas ?
Malheureusement, c'était peut-être un jour religieux, un jour maigre qu'il ne fallait pas prononcer... et il a été bien reçu notre bossu !
"qu'est-ce que tu viens nous embêter, toi?
qu'est-ce qu'on va en faire de celui-là, qui se mêle de nos affaires ?
si on lui collait la bosse de l'autre par-dessus la sienne ?’’
Ce fut fait, et alors, à Yvoy, il y avait toujours deux bossus : l'un sans bosse, et l'autre avec deux bosses !

* un anvot : un orvet
** itou : aussi
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Tous ces sujets sont détaillés dans Traditions paysannes de Sologne (ed. Hesse)  de Claude Seignolle.
Cet ouvrage est issu d'une enquête ethnologique qu'il mena, en 1944, dans 43 communes de Sologne.
Il exprime toute la richesse de ce monde révolu lié à des siècles de vie rurale, et fait aussi référence à certains de ses prédécesseurs, observateurs de ces mœurs solognotes.
Issus de cette recherche, ses contes et romans, au style prenant et d'une grande intensité dramatique (la Malvenue, Marie la Louve, le Rond des Sorciers...) sont publiés dans le monde entier. Des adaptations pour enfant ont été publiées : Jean de l’ours, L’homme aux 7 loups, Le meneur de loups.